Revue de l'art brut, des créations singulières, de l'art populaire et des expressions marginales ou bizarres. Art outsider, hors-normes, singulier…

Articles tagués “papiers

Annie Lauras : les bonnes pâtes

Annie Lauras : les bonnes pâtes

par Jean-François Maurice

Annie Lauras
C’est près de Monségur en Lot-et-Garonne que j’ai fini par trouver la maison d’Annie Lauras au beau milieu des pruniers. Cela fait maintenant plus de douze ans, depuis son mariage, qu’elle habite la région.

Annie Lauras fabrique essentiellement des œuvres en papier mâché, mais celles-ci ont une force si peu commune qu’en ayant vu une lors d’une exposition je n’ai pas hésité, dès le lendemain, à faire le voyage !

Annie Lauras, pâte à papier
Annie Lauras, pâte à papier

Annie Lauras est née à Brélès, à l’extrême pointe du Finistère, à trente kilomètres de Brest. Mais attention : à trois kilomètres de la mer, ce qui change tout. Elle fut élevée dans ce monde très particulier des paysans bretons … Et je suis en train de comprendre pourquoi j’ai tant de mal à commencer ce texte : les souvenirs d’Annie Lauras empiètent sur les miens ! Je me souviens de mon père lorsque nous étions à Vitré, décrivant les intérieurs des maisons de garde-barrière qu’il visitait durant ses tournées, à pied, le long des voies ferrées car il était employé à la S.N.C.F. Eh puis, moi aussi, je me souviens de la cabane en tôle où cuisait la pâtée pour les cochons dans la ferme de mon grand-oncle Tonton Perrot ; oui ,je me souviens. Mais toute création n’est-elle pas exercice de mémoire ?

Le vrai départ créatif de ces hautes-pâtes, c’est durant l’hiver 1989. Annie Lauras voit dans un magazine une brique en papier multicolore, ce papier compressé qui peut faire office de bûches… C’est le déclic : immédiatement elle déchire l’annuaire du téléphone, le passe à la moulinette et fait son premier tableau !

Mais rien ne vient de rien : cette pâte créatrice, c’est la pâtée pour les cochons de son enfance, et créer c’est refaire tous les gestes de l’enfance, cette tambouille, écraser les patates, le feu, le bois, les odeurs de la cabane, de la terre humide, de la nourriture du corps, la « gouelienne », à la nourriture de l’âme car « la création est comme une prière ». Tout, dans la ferme de son enfance, est anticipation de la jouissance des choses : la maison et ses lits aux matelas en balle d’avoine qu’il fallait changer tous les trois ans, et la paille et la cabane de fougères pour abriter les pommes de terre…

C’est de tout cela qu’est faite la peinture d’Annie Lauras : les papiers sont passés à la moulinette et répartis dans différents pots selon les couleurs et les densités : … « Ces couleurs sont des assemblages d’épaves ». Quant aux sujets ce sont toujours des personnages qui – bien que très différents dans le fond et dans la forme – peuvent vaguement s’apparenter aux bonshommes de Dubuffet. Mais toujours avec des contrastes, des dualités… Car ne nous y trompons pas : ces personnages sont des fétiches, des exorcismes, des prières, la conjuration de maléfices… car la liberté ne se trouve que dans l’inquiétude. Malgré leur rusticité une évidente dimension spirituelle se dégage de ce travail qui avance sans aucune compromission ni faiblesse envers le monde de l’art officiel…

Ah, j’oubliais : les murs de la maison d’Annie Lauras sont de la même matière que ses tableaux…

Annie Lauras, tableau "Femme", pâte à papier

Jean-François Maurice
Gazogène n°09


Grégogna, créateur pluriel

Grégogna, créateur pluriel

par Jean-François Maurice

Grégogna
Grégogna

Notre première rencontre avec Grégogna à Pézenas fut l’occasion d’un pèlerinage sur les ruines de la digue de gros rochers qu’il avait entièrement peinte, sur plusieurs centaines de mètres.*
Hélas, l’administration, ayant décidé l’élargissement de la route sans véritable raison, celle-ci conduisant au dépôt d’ordures ! envoya ses bulldozers qui jetèrent la digue vers la mer une nouvelle fois sans raison puisque de l’autre côté se trouvait une large bande de terrain vierge bordée par la voie ferrée, espace qui comme de bien entendu ne fut pas touché !

Nos lettres et pétitions diverses ne reçurent aucune réponse… Grégogna ne baissa pas les bras et continua, au milieu de mille difficultés, son œuvre multiforme.

Papiers mâchés ou papiers déchirés, papiers collés ou décolorés, marionnettes ou poupées bourrées, tapisseries ou tissus enduits, peintures acryliques, huiles, gouaches et que sais-je encore, boites de conserves rouillées, vieilles ferrailles, zinc, étain, cuivre et laiton… Tout est bon à Grégogna, un des créateurs parmi les plus inventifs qu’il m’ait été donné de rencontrer.

Le résultat de son travail est à la mesure du personnage : une allure de Don Quichotte, une prestance de Condotière de la création, et face à son œuvre, une simplicité, une franchise, et une modestie exemplaire.

Faut-il ajouter qu’il a le cœur sur la main et le culte de l’amitié ? Toutes choses qui dans le monde de l’art officiel lui ont valu, on s’en douterait, quelques déboires et déconvenues !
Mais cela n’altère pas le climat de son œuvre : férocement critique parfois mais tempéré d’humour ; ironique et caustique mais teinté d’autodérision… caricatural mais ludique, Grégogna n’oublie jamais que les personnages dérisoires qu’il met en scène n’en restent pas moins proches de nous, humains, trop humains…

* Entre Frontignan et Sète.

Jean-François Maurice
Gazogène n°16


DAVIDE MANSUETO RAGGIO

Pour preuve de la richesse et de l’ouverture de Arte Naive, Dino Menozzi m’a envoyé cette version française originale d’un beau texte sur le créateur Davide Mansueto Raggio, publié avec de nombreuses photographies dans le n°5.

DAVIDE MANSUETO RAGGIO

par Dino Menozzi

Davide M. Raggio vit actuellement dans l’ancien Hôpital psychiatrique de Gênes-Quarto. Né en 1926 d’une famille paysanne, rappelé en 1944 sous les drapeaux, il est capturé et enfermé dans un camp de prisonniers. Libéré en 1945, dans un état de mauvaise santé, il manifeste les premiers troubles psychiques, après quelques vaines tentatives de réadaptation dans sa famille et dans la société, il sera nécessaire de l’hospitaliser à l’Hôpital Psychiatrique de Gênes.

Raggio se retire de la réalité qui revêt aussi les aspects de sombres fantômes qui le persécutent. Cependant dans son monde peuplé d’ombres, de présences qui l’angoissent et l’accusent, il arrive, peu à peu, un changement.

Davide Mansueto Raggio : peinture

Davide Raggio découvre les objets les plus disparates, des morceaux de bois, des racines, des cannes, des petites pierres, des coquilles, au moyen desquels il neutralise, d’une certaine manière, ses propres hantises. Il s’agit parfois de « Furies », de « Personnages Terrifiants», où les têtes sont des racines renversées vers le ciel en guise de cheveux ébouriffés. Il s’agit, parfois, de pantins en bois assemblés avec des branches et avec des brindilles, de « Pinocchi » construits en dizaines d’exemplaires.

Par l’intermédiaire de l’apprentissage de la « sculpture » et, par suite, de la peinture, Raggio réussit ainsi à soulager ses souffrances intérieures et à exorciser ses angoisses et les craintes qui l’ont accompagné pendant une vie entière, à l’intérieur de l’ex-hôpital psychiatrique de Gênes.

Même sa peinture réalisée avec une technique aussi suggestive et discrète qu’improvisée par nécessité, montre des aspects vivement originaux. Les couleurs que Raggio utilise sont seulement quatre : l’ocre, tirée de petits blocs d’argile, le noir et le gris, obtenus du charbon et de la cendre, et le rouge, tiré des éclats de brique broyée.
Ces couleurs sont empâtées avec de la colle vinylique qui permet un étalement au pinceau et une solide fixation au support de carton, tiré de boîtes d’emballages.

La description des sujets de sa peinture est presque impossible : ce sont des figures qui émergent du fond comme des ombres plastiques qui bougent dans des espaces non identifiés.
Il s’agit, sans aucun doute, de symboles qui jaillissent des méandres de l’inconscient, de signes et de syntagmes expressifs presque inconscient et qui produisent un effet profondément suggestif.

Au Printemps 1995, Raggio a entrepris une manière nouvelle d’opérer.Davide Mansueto RaggioSur des cartons analogues à nid d’abeille utilisés précédemment pour les « peintures », Raggio fait maintenant quelques abrasions avec lesquelles il soulève et arrache la couche superficielle de papier qui revêt le carton même. Il obtient, donc ses figures imaginaires en déchirant le carton selon des directions voulues, de façon à mettre à nu la couche sous-jacente, tandis que les couches enlevées restent enroulées et accrochées à l’extrémité des membres. Le résultat est séduisant et saisissant à la fois. Les silhouettes se détachent sur la couleur ocre du carton et apparaissent comme des étranges concrétions, des matérialisations d’ectoplasmes qui nous parviennent par l’intervention médiumnique de Raggio. De la déchirure intérieure de la psyché, à celle de la couche superficielle du carton pour mettre à nu des images énigmatiques dont la clé reste ensevelie dans l’âme de Raggio : le cycle semble se terminer dans l’action répétitive et libératrice qui constitue une déclaration inconsciente de l’existence.

Enfin, les œuvres de Raggio, désarmantes et, à certains égards, inquiétantes, nous témoignent comment, contre les difficultés de toutes sortes, l’art peut être un bon camarade même pour celui qui est dépourvu de chaque bien spirituel de la vie, comme l’a souligné, avec une heureuse intuition, Claudio Costa, le fondateur du Musée Actif des Formes Inconscientes.

Dino Menozzi
Gazogène n°14-15


Fragment de Jean-Pierre Spilmont

(sur Marc Pessin)

COMMENT NE PAS LAISSER RÉSONNER EN NOUS CES PHRASES DE JEAN-PIERRE SPILMONT, CICATRICES DU SILENCE ?
COMME EN QUELQUE IMPROBABLE VERSION, LAISSONS SUR LE BROUILLON DES FRAGMENTS DE SIGNES, DES LAMBEAUX ONIRIQUES D’UN IMMOBILE VOYAGE…

« … L’AVENTURE SOLITAIRE D’UN LANGAGE… QUELQUE CHOSE QUI N’APPARTIENT QU’À NOUS… LE PARCOURS, LA RÉSURGENCE… RIEN NE SURGIT PAR LE HASARD NI NE VIT NI NE SURVIT JAMAIS… LA RECHERCHE D’UN DOMAINE SANS NOM, D’UN UNIVERS PERDU OÙ SEULS PEUT-ÊTRE ONT ACCÈS LES NOMADES, CEUX À QUI L’IMPLACABLE ERRANCE PERMET DE POURSUIVRE UNE VOIE OÙ NUL D’ENTRE EUX NE SAIT JAMAIS OÙ ELLE CONDUIT VRAIMENT… IMMOBILE VOYAGE… ÉVIDENCE DES TRACES . .. OS , FIBRES, POLLEN PROVISOIRE DU SILENCE, VESTIGES… L’OMBRE PORTÉE DE CE QUI FUT TÉMOIN D’ON NE SAIT QUELS LOINTAINS ÉCHANGES… ARCHIVES OBSOLÈTES… LA VIE PERDUE PEUT RENAÎTRE À LA VIE…
PARCHEMINS À LA CÉCITÉ PROVISOIRE

J’AI PENSÉ À RIMBAUD
… »

VOICI, DANS LE SILENCE DE LA NUIT, CE QUE J’AI GRIFFONNÉ EN ENTENDANT LE TEXTE DE JEAN-PIERRE SPILMONT ET EN VOYANT JUSQU’À L’ AUBE LA CASSETTE DE MARC PESSIN…

L’ÉRUDITION C EST LE FANTASTIQUE MODERNE ÉCRIT QUELQUE PART BORGES, ET SI UN ADJECTIF PEUT QUALIFIER LA CRÉATION DE MARC PESSIN, C’EST BIEN CELUI DE BORGÈSIENNE ! VOYEZ EN EFFET CES PAQUETS DE MANUSCRITS, TAPUSCRITS ?, FICELÉS, CES ARCHIVES IMPROBABLES ET POURTANT SI RÉELLES, CES SCEAUX SOUS VITRINE COMME AUTANT DE MATRICES POUR DE FUTURES GÉNÉRATIONS, CES ROULEAUX, CES CACHETS DE CIRE ROUGE ET BRUNE, CES PAPIERS DÉCHIQUETÉS, CES CARACTÈRES COMME RONGÉS PAR LES POISSONS D’ARGENT… NOUS VOICI CONFRONTÉS AUX SIGNES DE NOTRE SURVIE QUI SONT AUSSI CEUX DE NOTRE DISPARITION…

Jean-François Maurice
Gazogène n°04