Revue de l'art brut, des créations singulières, de l'art populaire et des expressions marginales ou bizarres. Art outsider, hors-normes, singulier…

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Émile Ratier

Copeaux de mots pour le sabotier Émile Ratier

J’AI HABITÉ TROP TARD le Lot, pour connaître Émile Ratier. Pourtant cela aurait été possible tant sa vie a été longue. Les photographies qui illustrent ces pages proviennent des archives de Pierre Bernard dit « Froment » le peintre, poète autodidacte de Mauroux. Elles furent prises en 1966. Il faut dire qu’entre les deux hommes, le courant passa immédiatement tant ils étaient proches pour de multiples raisons.
Plutôt que de délayer les textes ou les documents connus des amateurs, à défaut de pouvoir publier les témoignages recueillis sur place, proposons une autre approche.

ÉMILE RATIER semble illustrer l’hypothèse que nous formulions dans le numéro 17 de Gazogène, à savoir la proximité d’un « Haut Lieu » dans l’émergence d’une création singulière. Il vivait, en effet, à quelques kilomètres du château de Bonaguil dont André Breton disait : « Je reste sous le charme de Bonaguil – lieu exceptionnel – et me pénètre encore mieux de ce qu’il peut avoir d’unique. Il est poignant d’assister à ce dernier sursaut des forces telluriques contre les créations de « lumière » à la Chambord. Là étaient les seuls assaillants invisibles en mesure de déjouer murs et meurtrières. Cette lumière dut-elle à la fin du XVe siècle l’emporter, pour ma part je n’ai jamais cessé de la tenir pour fallacieuse ».

Émile Ratier et Émilienne, photo : Froment, 21 août 1966

On pourrait penser qu’Émile Ratier a été sensible à cette présence. Pourtant tous s’accordent qu’il n’en a rien été : seule, la vision de la Tour Eiffel à l’occasion d’une permission durant la Grande Guerre trouvera ultérieurement une signification.
Sans doute les bricolages auxquels il se livrait comptaient plus que cette masse imposante d’un château à l’abandon : n’allait-il pas chercher de l’eau à la fontaine sous le château à l’aide d’une carriole bricolée tirée par un chien – à moins que ce ne soit sur une mythique bicyclette en bois ?
Pour comprendre Émile Ratier, il faut le replacer dans son contexte social et historique, ne pas oublier cette « Grande Guerre », cette grande boucherie destructrice d’un monde rural.

AU RETOUR DE LA GUERRE, après son mariage avec Émilienne, il faut « faire des sous ». Émile Ratier sera à la fois agriculteur et « marchand de bois coupé en morceaux ». Mais une activité complémentaire va jouer un rôle très important dans son existence et son destin : Émile Ratier sera « éscloupié », fabricant de sabots. Le voir dans le film d’Alain Bourbonnais enjamber le banc de sabotier et refaire les gestes traditionnels nous fait oublier sa cécité. Alors, à notre tour, fermons les yeux. Imaginons-le après une coupe, ayant choisi une rare bille de noyer, préparant soigneusement le morceau le meilleur – car la semelle du futur sabot doit être du côté du cœur. Avec la hache, il refend le bois. Je vois, quant à moi, sa frêle silhouette commençant l’ébauche en s’appuyant sur le billot : il prend la pièce de sa main gauche et la fait pivoter pour dégrossir à la hachette de tous côtés.
Vient ensuite le travail du paroir, « Le vrai travail du sabotier »  ! (Ce qu’Émile Ratier appelle le « grand couteau » car le paroir se dit effectivement en occitan lou coutel). Comme il manie avec dextérité cette lame qu’on actionne comme un levier en passant l’extrémité dans une boucle fixée dans le billot. La forme est faite. Maintenant il faut creuser en s’installant sur le banc. On commence à la tarière.
Suivez bien le mouvement des mains d’Émile Ratier : il enfonce la tarière en plaçant son pouce gauche en travers, sur le bec du sabot ; il appuie la pointe de la tarière contre son pouce ; il place alors l’autre pouce sur la tige de l’outil, à la hauteur du talon. Il sait ainsi jusqu’où il pourra enfoncer l’outil…
Il prend ensuite la cuillère pour arrondir l’intérieur du sabot, et il n’a qu’une cuillère ! C’est dire que c’est au toucher qu’il va petit à petit « donner au pied sa place »…

MAIS L’ART d’Émile Ratier ne s’arrête pas là : comme tous les autres sabotiers, du fait de leur La connaissance intime du bois, il réalisera pour les voisins – en plus des réparations des pièces de bois des nombreux instruments aratoires anciens – les coffins pour la pierre à faux et plus généralement tous les objets qui nécessitent d’être creusés. N’ayons garde d’oublier les quilles et les boules de ce jeu très populaire alors !

CES ACTIVITÉS joueront un rôle essentiel lorsque, la cécité venue, il lui faudra sortir de la dépression. Émile Ratier s’aidant de cette connaissance de l’économie domestique rurale, n’utilisant que quelques outils rudimentaires, a alors reconstitué et façonné un univers à la fois laborieux et ludique où il a pu retrouver sa place.
Il est loin le temps où les claquements des sabots retentissaient sur les chemins. Mais Émile Ratier va nous réapprendre à entendre : il reconstitue la richesse et la profusion des sons de la vie quotidienne paysanne. Faire revivre ces bruits, c’est faire renaître la vie. C’est pour quoi ses « machines » cliquettent à qui mieux mieux, grincent follement, couinent bizarrement.

 

LES « JOUETS » d’Émile Ratier nous apparaissent d’autant plus nostalgiques, étranges et beaux qu’ils renvoient à un monde disparu. Je l’ai connu déjà finissant. Mais comment le transmettre ?
Tournons les manivelles, actionnons les rustiques biellettes. Une nouvelle fois, fermons les yeux. Laissons-nous emporter dans l’espace intérieur de la rêverie… Pour combien d’entre-nous les sons entendus alors évoquent-ils vraiment quelque chose ? Pourtant nous croyons tous avoir vécu de telles sensations : bruits de chariots, charrettes et autres charrois, sans parler du gazogène, des locomotives à vapeur et autres batteuses, barattes et trieuses… c’est à ce signe que se manifeste la magie d’une création authentique.
Émile Ratier a su, avec son savoir-faire, recréer le monde enchanté de l’enfance du monde qui sommeille en chacun de nous.
Alors, que la fête commence et recommence pour le vieux combattant qui, au soir de sa vie, criait encore contre les « corps constitués » que sa médaille militaire, lui, il ne l’avait pas achetée et que, s’il était encore là, c’est « qu’il y avait un bon Dieu pour les bougres » !

Jean-François Maurice
Gazogène n°18


Vacherie

Folie Fin-de-siècle

Troyes : ruines de la Vacherie

Ruines Publiques Fin-de-Siècle : carte postale

EN 1885, un certain Douanier Rousseau déclenche l’hilarité générale au salon des Refusés, c’est tout dire ! Cette même année, arrive à Rothéneuf un Abbé Fourré, dont on ne peut, certes, mettre la foi en doute, mais qui se fera connaître surtout pour ses rochers sculptés. En 1879 avait commencé à Hauterives la construction d’un Palais Idéal édifié par un Facteur rural nommé Cheval. Or, aux alentours de 1885, un homme commence lui aussi à édifier une œuvre architecturale singulière. De ce site qui a sans doute égalé les plus grands, il ne reste aujourd’hui plus rien, presque plus rien. Cet homme s’appelait Auguste Bourgoin et il avait baptisé son site du beau nom de Ruines publiques fin de siècle !

L’aventure commence à Troyes où la famille Bourgoin exploite une gravière. Peu à peu, les quatre frère Bourgoin vont diversifier leur entreprise : ramassage des ordures, des gravats, des démolitions, transports en tous genres, récupérations…

Après quelques années dé tâtonnements, l’un des frères, Auguste, commença en 1896, sur une parcelle de terrain qu’il possédait dans le quartier de la Vacherie à Troyes, à édifier des pyramides dans lesquelles il incluait des sculptures, des statuettes, des objets divers dont l’énumération formerait un inventaire à la Prévert ! Ces pyramides sont des constructions en pierre sèche, de base carré comportant des niches où l’on pouvait voir : Jeanne d’Arc, une Vénus, Napoléon Bonaparte, Garibaldi… Le site en comporta jusqu’à seize sans parler du Bureau des Ruines qui conservait les trouvailles les plus singulières !

Auguste Bourgoin ne s’était pas contenté de construire les Ruines, il les avait mises en scène. Au témoignage de Claude Berisé : « (il) alla jusqu’à construire un pont de bois au-dessus de l’eau d’une gravière pour y installer une très belle Plongeuse. Sur le bord de la même gravière, c’est une Baigneuse qui avait été placée bien en vue  » (1).

Las, après un temps de célébrité autour de 1900, les tours furent détruites les unes après les autres… sauf une, la plus petite, qui résiste encore au milieu des habitations, le flanc bardé d’une plaque muette qui aurait dû contenir un poème « en l’Honneur du Site » !

Jean-François Maurice
Gazogène n°17

(1) In Journal de la Vieille France, n°08, Les Ruines de la Vacherie


Michel Rouby

Michel Rouby, dans les veines du réel

Michel Rouby : dessin encre blanche sur papier noirLa maison de Michel Rouby, même si elle se trouve à Cahors, semble en pleine campagne ; mieux, déjà ailleurs. Là, à l’étage, il a installé son atelier, ne travaillant plus professionnellement parlant qu’à mi-temps pour se consacrer à ce qui en vaut vraiment la peine, la création.

Michel peut avoir de qui tenir, car il est le frère de ce Jacques Rouby auquel Gilbert Pons avait consacré une belle étude dans notre numéro 20 de Gazogène.
Si les deux frères se ressemblent étrangement – même taille, même stature d’anachorète, même visage émacié – et si leurs œuvres peuvent matériellement se rejoindre, dans la mesure où Michel réutilise parfois les matériaux que Jacques a cent fois remis sur le métier, le résultat n’en est pas moins totalement différent.Michel Rouby : dessin
Il y a du reste là quelque chose à creuser dans cette diversité créatrice au sein d’une même fratrie et je ne peux m’empêcher de penser aux frères Duchamp – Marcel, Jacques Villon et Duchamp-Villon – qui étaient seulement un de plus !

Mais tournons nous maintenant vers les œuvres.

Et là, avec elles, nous sommes littéralement aspirés, happés comme par un maelström minéral. Nous rentrons pleinement à l’intérieur de la matière, mais une matière vivante. Nous voilà cheminant dans les veines de la terre, comme au cœur d’un vaste corps. Nous devenons les explorateurs des profondeurs du réel.

Cette vertigineuse mise en abyme va si loin que Michel Rouby avait imaginé mettre à disposition des amateurs, attachées à chaque tableau, de petites loupes. Non que les œuvres de Michel Rouby soient de petits formats, bien au contraire, mais parce que sans cesse elles sollicitent le regard à aller plus loin, à s’enfoncer plus avant, à se laisser emporter par je ne sais quel courant souterrain. Mais qu’on ne croit pas cependant avoir à faire à une peinture évanescente. Ce travail est parfaitement structuré, traversé par des lignes de force efficaces aussi bien dans l’infiniment petit que dans la vision globale du tableau.

Si nous devenons les mineurs de fond de cette création singulière, nous y sommes d’autant plus aidés que Michel Rouby juxtapose des entrelacs quasi médiumniques dessinés à la plume et de grands aplats où il se révèle un coloriste aussi inspiré qu’inventif.
Et je veux prendre ce mot de mineur au sens de sapeur de nos misérables certitudes qui pervertit le sous-sol du réel, qui creuse des chausse-trappes à l’évidence sensible, qui place des pièges au conformisme de la représentation, qui détourne l’ordre apparent des choses. Oui, pour moi, les tableaux de Michel Rouby sont ceux d’un mineur de fond qui travaille en silence, qui retient son souffle, qui évite la dangereuse lumière génératrice de grisou. La référence à Augustin Lesage paraît alors évidente. Michel Rouby est un travailleur de la nuit, un bijoutier du clair de lune qui s’en va dérober à la matière ses richesses et ses secrets les mieux cachés.

Michel Rouby : dessin
Michel Rouby : dessin, encre blanche sur papier noir

Mais c’est aussi un travail de Frère Mineur, de moine, d’ascète dans son scriptorium, œuvrant hors du temps pour transmettre à d’autres un essentiel autant qu’hypothétique message.
Comme tous ceux qui se coltinent l’essence du réel, Michel Rouby retrouve ce que Bachelard avait si bien nommé dans L’eau et les rêves : « une morale de la matière ». Ici, c’est plutôt sous le registre des rêveries de repos et de la volonté que nous nous trouvons mais c’est toujours la poésie qui est gagnante.

Jean-François Maurice
Gazogène n°23


Le diable et le bon dieu : Philippe Aïni

Les malheurs de Philippe Aïni

par Jean-François Maurice

L’affaire de l’église Saint-Michel de Flines-lez-Raches est maintenant sue : il y a près de 5 ans, Philippe Aïni commençait dans ce lieu une fresque de 13 mètres de long sur 7 de haut avec plus de 90 personnages, fresque qui fut inaugurée en grande pompe le 21 juin 1990…

Philippe Aïni
Fresque de Philippe Aïni

La suite est malheureusement connue : dégradations, mutilations, destructions, menaces… Madame Jeanine Rivais m’avait envoyé un dossier qui a paru intégralement dans Les Cahiers d’Ozenda, ainsi que d’autres pour lesquels je pensais avoir une certaine primeur. Mais peu importe, revenons à Aïni. Si je ne l’ai jamais rencontré, j’ai la chance de connaître son travail depuis belle lurette, dès Eymoutiers et Monteton. J’aime ses œuvres qui mettent souvent mal à l’aise. J’ai défendu son travail à plusieurs occasions, même s’il n’en a jamais rien su.
C’est à ma demande que Philippe Aïni m’a gracieusement envoyées les cartes postales qui illustrent ce texte.

MAIS QU’ALLAIT-IL FAIRE EN CETTE GALÈRE ?

Ce préambule dit, AÏNI à L’ÉGLISE, C’ÉTAIT VRAIMENT TENTER LE DIABLE ! Ou bien il s’agit d’innocence et alors j’espère que ses yeux vont s’ouvrir, ou bien de provocation et alors il faut assumer ; y a-t-il un entre-deux ? Car Aïni dans une église, je le répète,c’est totalement incongru ! Investir des lieux, y compris d’anciens lieux de culte, pourquoi pas! Encore faut-il imposer des mythes nouveaux, subvertir radicalement l’endroit, le faire absolument autre!  Mais est-ce possible ? Ne, faut-il pas au contraire fuir ces lieux si chargés de rituels ? Je pose simplement la question.
Le problème Aïni reste.

Jean-François Maurice
Gazogène n°10


Reinaldo Eckenberger

Poupées de Reinaldo Eckenberger
Poupées de Reinaldo Eckenberger

Quant à moi la découverte fut de voir en vrai le travail de Reinaldo Eckenberger, argentin d’origine mais créant à Salvador au Brésil. Ses poupées vivement colorées sont un régal non seulement pour les yeux mais pour tous les sens, comme si l’on participait à un immense carnaval imaginaire, à une fête sensuelle et pourtant si proche du tragique et du morbide.

Malheureusement, à trois reprises, alors que nous commencions à échanger quelques mots avec Reinaldo Eckenberger, nous avons été séparés ; par des journalistes, par des photographes… Ce créateur singulier aurait fondé un petit musée d’art singulier à Salvador, et pour se déplacer en Europe il utiliserait des trésors d’ingéniosité… Ce personnage attachant, nous le retrouverons certainement dans un prochain Gazogène.

Jean-François Maurice
Gazogène n°09


Annie Lauras : les bonnes pâtes

Annie Lauras : les bonnes pâtes

par Jean-François Maurice

Annie Lauras
C’est près de Monségur en Lot-et-Garonne que j’ai fini par trouver la maison d’Annie Lauras au beau milieu des pruniers. Cela fait maintenant plus de douze ans, depuis son mariage, qu’elle habite la région.

Annie Lauras fabrique essentiellement des œuvres en papier mâché, mais celles-ci ont une force si peu commune qu’en ayant vu une lors d’une exposition je n’ai pas hésité, dès le lendemain, à faire le voyage !

Annie Lauras, pâte à papier
Annie Lauras, pâte à papier

Annie Lauras est née à Brélès, à l’extrême pointe du Finistère, à trente kilomètres de Brest. Mais attention : à trois kilomètres de la mer, ce qui change tout. Elle fut élevée dans ce monde très particulier des paysans bretons … Et je suis en train de comprendre pourquoi j’ai tant de mal à commencer ce texte : les souvenirs d’Annie Lauras empiètent sur les miens ! Je me souviens de mon père lorsque nous étions à Vitré, décrivant les intérieurs des maisons de garde-barrière qu’il visitait durant ses tournées, à pied, le long des voies ferrées car il était employé à la S.N.C.F. Eh puis, moi aussi, je me souviens de la cabane en tôle où cuisait la pâtée pour les cochons dans la ferme de mon grand-oncle Tonton Perrot ; oui ,je me souviens. Mais toute création n’est-elle pas exercice de mémoire ?

Le vrai départ créatif de ces hautes-pâtes, c’est durant l’hiver 1989. Annie Lauras voit dans un magazine une brique en papier multicolore, ce papier compressé qui peut faire office de bûches… C’est le déclic : immédiatement elle déchire l’annuaire du téléphone, le passe à la moulinette et fait son premier tableau !

Mais rien ne vient de rien : cette pâte créatrice, c’est la pâtée pour les cochons de son enfance, et créer c’est refaire tous les gestes de l’enfance, cette tambouille, écraser les patates, le feu, le bois, les odeurs de la cabane, de la terre humide, de la nourriture du corps, la « gouelienne », à la nourriture de l’âme car « la création est comme une prière ». Tout, dans la ferme de son enfance, est anticipation de la jouissance des choses : la maison et ses lits aux matelas en balle d’avoine qu’il fallait changer tous les trois ans, et la paille et la cabane de fougères pour abriter les pommes de terre…

C’est de tout cela qu’est faite la peinture d’Annie Lauras : les papiers sont passés à la moulinette et répartis dans différents pots selon les couleurs et les densités : … « Ces couleurs sont des assemblages d’épaves ». Quant aux sujets ce sont toujours des personnages qui – bien que très différents dans le fond et dans la forme – peuvent vaguement s’apparenter aux bonshommes de Dubuffet. Mais toujours avec des contrastes, des dualités… Car ne nous y trompons pas : ces personnages sont des fétiches, des exorcismes, des prières, la conjuration de maléfices… car la liberté ne se trouve que dans l’inquiétude. Malgré leur rusticité une évidente dimension spirituelle se dégage de ce travail qui avance sans aucune compromission ni faiblesse envers le monde de l’art officiel…

Ah, j’oubliais : les murs de la maison d’Annie Lauras sont de la même matière que ses tableaux…

Annie Lauras, tableau "Femme", pâte à papier

Jean-François Maurice
Gazogène n°09


Bernard Jund

Certaines personnes ont, semble-t-il, l’étrange pouvoir de fasciner à distance !
Bernard Jund fait certainement -pour moi en tous les cas- partie de ce monde. Mais avant de parler de ses figurines dans le prochain n° que nous consacrerons à la sculpture singulière laissons lui la parole :

Bernard Jund

DE SINOPLE À ARA DE GUEULES FRANGÉ D’AZUR

Le végétal saigne rouge sur la peau Wayampi. Les cosses éclatées de la châtaigne cosmétique crachent leurs graines pilées et cuites : savonnette de rubis pétrie à l’huile de garapa.

Dards, fusées rouges des plumes de ara dressées verticales sur les biceps indiens. Parure tombante chez l’oiseau, dressée vers le ciel par l’homme Wayampi, encadré symétriquement de plumes rouges comme un aigle héraldique coloré
d’optimisme et de gloire.

Le rouge surprise  ? dans l’océan vert
Les animaux se cachent
L’indien se montre
La cible s’expose au regard
On est droit, on est fier, on est rouge …
Là où tout est vie, mort, sève et sang l’indien est une figure héraldique qui affiche son humanité par l’abstraction de sa silhouette transformée. Ce supplément de parure est distinction et différence.

En parure : les objets détournés de la civilisation :

miroirs
peignes
épingles.

Graphismes au génipa bleu de Prusse sur fond de roucou :
Machoire de Tapir au front
Empreinte du coq aux pommettes
Fleur en étoile aux sourcils rasés
Griffes en chevrons aux cuisses
Papillon bleu, oiseau.

Toute la nature en empreintes géométriques, en blasons ésotériques …

Et quelquefois, inattendue, la simple empreinte de la main colorée, plaquée sur le corps, la même main que celle de Lascaux ou d’Altamira …

Bernard jund

La diagonale du bord du monde

Bernard Jund

La diagonale du bord du monde …

La diagonale du bord du monde, peinture de Bernard Jund
La diagonale du bord du monde : Bernard Jund

Le jour se lève sur le premier matin du monde … naissance de la vie : minérale, végétale, animale, humaine. Les choses immenses, puis les choses familières, vastes échos, bruits et voix des hommes. Rien n’est réellement effrayant mais « naturellement » vrai en nous-mêmes dans ces résonances.

Un jour, le monde s’est rétréci pour les derniers hommes, qui ont vu apparaître le Bord du Monde. Apocalypse par nous engendrée. Les derniers hommes sont encore dans le monde. Nous … Occident oxydé dans un lieu au-delà de l’humanité,. ne sommes déjà plus des humains. Quelque part à la croisée des chemins de l’histoire des hommes une fausse route a été suggérée à l’Occident. Il fallait qu’un Juda saccage tous les espoirs, ce fut notre civilisation au visage blafard … et c’est elle qui crucifia l’autre monde. L’histoire de cette civilisation fut un viol permanent.

Apocalypse de métal, de l’armure au bulldozer, nous avons éventré notre mère et ses enfants qui n’avaient pas succombé au vertige de l’exploitation de la planète et de l’homme par l’homme.

Bernard Jund, Juillet 1992
Gazogène n°09


Danielle Le Bricquir, mythe impalpable

DANIELLE LE BRICQUIR, MYTHE IMPALPABLE

Danielle Le Bricquir

Dès ma première rencontre avec son œuvre je me suis trouvé en communion. Ce qui me fait plaisir c’est que toutes les personnes amies qui, depuis, ont rencontré à Cahors Danielle Le Bricquir me demandent systématiquement de ses nouvelles. Mais la pure subjectivité peut-elle s’ériger en critère esthétique ? Eh certes ! Car on confond trop souvent celle-ci avec le pur copinage, le renvoi d’ascenseur, l’écrit de complaisance… Pour moi, un des critères de sélection relève de l’empathie, de l’identification affective – et sensible – et cependant distanciée, distance sans laquelle l’émotion n’aboutirait qu’à l’hagiographie.

Évidemment à cela s’ajoute d’autres critères intellectuels, culturels et historiques : Art Brut ? Neuve Invention ? etc. Sans parler de la création d’un univers mental et plastique plus ou moins original et singulier.

L’art de Danielle Le Bricquir est à son image : fragile et immémorial. Ses statuettes haussent l’événement quotidien à hauteur d’un mythe & les aléas de la vie au niveau d’une geste légendaire. Voyez cette foultitude de personnages dont chacun existe d’une vie propre. Ils expriment comme dans un imagier d’autrefois toute la gamme des sentiments, des désirs,des passions. Chaque saynète grouille de pulsions, d’angoisses, de meurtrissures.

La fragilité des matériaux est à la mesure de la dureté des temps. Contemplant cette théorie de statuettes furieusement inventive, on ne peut s’empêcher de penser à ce propos d’Alain : « Il n’est pas de vrai bonheur sans une pointe d’angoisse ».

Jean-François Maurice
Gazogène n°16


Précisions…

PRÉCISIONS

sur Gazogène

La revue Plein Chant dans son numéro 57/58 a employé à propos de Gazogène l’adjectif « hétéroclite ». Certains ont pu penser qu’il y avait là quelque connotation péjorative. Quant à nous, nous ne pouvons que reprendre avec plaisir un tel jugement ! Car, que dit le Dictionnaire ? « HÉTÉROCLITE. Qui s’écarte des règles de l’art : bâtiment hétéroclite. Fait de pièces et de morceaux ; bizarre : amalgame hétéroclite. »

Cette définition nous va comme un gant car, au sens propre, c’est ainsi que Gazogène est fait !

En 1947 Jean Dubuffet écrivait à Jacques BERNE : « … Ce à quoi on aspire-c’est à quelque chose qui serait probablement mal foutu, informe, maladroit, plein de fautes et de zigzags, comme tout ce qui débute, mais qui aurait de la vitamine, de la vitamine propre, du terroir propre, et qui prendrait fièrement la mer sans pilote à bord. Ça se pourrait bien que ça soit dans ces villes de province que prennent un de ces jours naissance des mouvements comme ça… » (Lettre d’un portraitiste à un scorpion, L’Échoppe, 1993).

Nous espérons qu’il y a un peu de ça dans Gazogène !

Au risque de me répéter, encore quelques précisions :
Gazogène
n’est pas une « revue » au sens propre, n’est l’émanation d’aucun groupe, d’aucune structure, d’aucune association et n’a, de ce fait, de compte à rendre à personne.
Au départ, Gazogène ne devait être qu’un petit opuscule distribué aux amis et relations. Ce sont ses destinataires qui, par leurs envois, en ont fait un support, une « revue ».
Son titre est déjà un refus de tout concept. Ce qui n’implique nullement l’amnésie de ses origines ! Tout d’abord DADA ! (La revue Manomètre, dadaïste ET provinciale, nous revient en mémoire)
Avec DADA c’est tout un courant subversif et libertaire, anarchiste individualiste, c’est aussi le pacifisme et la compassion pour tous les exclus, les suicidés de la société : Cravan ou Vache, Crevel. Mais aussi Le Facteur Cheval ou Picassiette.

Dois-je avouer que, si j’ai lu avec intérêt les écrits Surréalistes, j’étais aux antipodes quant à leur forme narcissique et ampoulée ?
Comment de telles idées ont pu s’exprimer d’une façon si classique ;  que dis-je : si rhétorique, si Cicéronnienne, allitération comprise ! Je n’ai pu en avoir idée que grâce au Mai 68 de mes vingt ans quand des idées subversives qui portent encore aujourd’hui leurs effet bénéfiques s’exprimaient dans une langue de bois, le plus souvent, à l’effet fort comique. Rétrospectivement !

À cette même époque, je découvrais Asphyxiante Culture de Jean Dubuffet, mais également, et pêle-mêle ,les auto-constructeurs, les communautés, la Beat-Génération et j’en passe et des meilleurs !

Jamais je ne crois avoir démérité dans cet effort de vivre autrement. Certes, j’ai des regrets, des occasions manquées, des ruptures malencontreuses, des blessures secrètes, des propos outranciers, mais rien qui à mes yeux est lâcheté ou abandon…

Les créateurs présentés ici sont le reflet non pas de mon éclectisme mais des différentes facettes de ma sensibilité, des différentes formes de la création que j’aime. Une succession d’éléments constitutifs, peut-être, d’un authentique « Art Brut » aujourd’hui disparu ?

On remarquera également que Gazogène consacre une part de ses pages aux littératures marginales, que ce soit la littérature prolétarienne ou les correspondances plus ou moins intimes. Sans juger de la qualité de ces textes, j’ai voulu donner une place à des écrits le plus souvent exclus des circuits officiels de la littérature.

Enfin, Gazogène fait une place à ce qu’il est convenu d’appeler « art populaire », au modeste art élémentaire trouvé le plus souvent au bord des routes, au fond des jardins, dans l’anonymat des banlieues… Cet amour des créations populaires va même jusqu’à englober les manifestations de la dévotions : croix de chemins, sanctuaires ruraux, oratoires oubliés…
Cette diversité d’intérêts n’est donc qu’apparente n’en déplaise aux esprits chagrins !

Place maintenant aux différents créateurs exposés : ils vont de l’art brut au surréalisme en passant par l’art naïf, l’art singulier, la neuve invention, la création franche… etc., mais surtout : la création, la vraie, la neuve, l’inventive, l’unique, la singulière, la populaire, la marginale, la médiumnique, la libertaire ; .. la création quoi !

Jean-François Maurice
Gazogène
n°16


Jean-Marie Massou

L’homme qui creusait des trous

IL EST DES ZONES ÉTRANGES, propices aux maléfices ; celle des grands bois sombres, des fermes isolées, des routes cabossées de la Bouriane en est une. Au milieu de ces bois noirs toujours humides, des relents de pourriture se mêlent à l’odeur des champignons. Les caractères sont rudes, souvent renfermés et taciturnes. Et, brusquement, c’est le « coup de sang », « la grande gueule » qui ne peut plus se fermer, le fusil qui parle tout seul ! Ne croyez pas que j’exagère, la presse locale est là pour le montrer, c’est en ces lieux que surgissent les « faits divers » les plus glauques et où, à ce jour rode encore, toujours impuni, le « voyeur de minuit »…

Or, ces enclaves archaïques voient souvent surgir d’insolites créateurs que Joe Ryczko a si bien décrits dans ses Excentriques du Pays-aux-Bois1. Ce n’est donc pas un hasard si c’est en cette région que Jean-Marie Massou réalise un « site » à nul autre pareil.

Il semblerait qu’une partie de sa famille soit originaire de ces alentours de Cazals où il serait ensuite revenu. Il est en effet né près de Melun où ses parents étaient jardiniers… Il a aujourd’hui, selon ses dires, 45/46 ans et est totalement analphabète. Or depuis 22 ans maintenant, il creuse des galeries, déblaie d’anciennes failles rocheuses, aménage des cavités et des puits naturels qu’il « fortifie » ou recouvre de blocs de roches comme de modernes tumulus. Mieux encore, il érige des pyramides, dresse d’énormes blocs en forme de sphinx, construit d’inhabitables cazelles, mausolées plutôt ou mastabas… Qui peut le dire ?

Jean-Marie-Massou : tunnel dans le Lot
Jean-Marie-Massou : tunnel dans le Lot

Tout le terrain semble miné par de mystérieuses galeries. Et s’il n’est sans doute pas innocent de savoir que Jean-Marie Massou voue aux fourmis noires une véritable admiration, où donc se trouve le cœur de ce labyrinthe ? Est-ce le « Temple Chinois » dont il nous parlera sans jamais nous y conduire ? Est-ce la Salle aux concrétions, aux stalactites ? Ou est-ce la
porte magique du monde infini des rêves ? Qui peut, encore une fois, le dire ?

Le simple fait de creuser des trous semble avoir un Sens en soi, même s’il affirme avoir pris modèle sur ce qu’il a trouvé pour aménager ces grottes, pour les décorer comme des petits châteaux en miniature.

Au cours de la visite Jean-Marie Massou a livré quelques bribes sur ses motivations. Dès son plus jeune âge il a pris conscience de ses capacités prémonitoires ; celles-ci lui ont sauvé la vie en l’avertissant d’un imminent glissement de terrain par exemple. Mais il aurait aussi à plusieurs reprises anticipé en rêve sur d’autres événements… Une chose est sûre, c’est grâce à ce don qu’il voit les endroits où il doit creuser pour découvrir de nouveaux gouffres ou de nouvelles entailles dans le sol. Nul doute aussi que lors de son travail cyclopéen, il s’identifie à la matière brute dans une sorte de rêverie élémentaire analysée par Bachelard : ici, « La terre et les Rêveries de la Volonté » ne sont pas de vains mots ! Jean-Marie Massou est au sens propre un homme de l’âge de pierre et son alchimie de la matière englobe l’eau – et nous le verrons plus loin, d’une certaine manière – l’air. Alors que nous parlions des formes étranges que peuvent naturellement ( ?) prendre les roches, Jean-Marie Massou nous montre ce qu’il affirme être une baleine et suggère que jadis, dans l’eau qui a façonné cette forme il y aurait eu une « intelligence » au travail. Lui, l’analphabète s’exclame : «  Les cellules de l’eau auraient le pouvoir de sculpter… Il existerait une pensée et une volonté dans la matière… Mais les hommes ne voient rien de tout cela… ». Plus encore, avec ses mots à lui, notre créateur retrouve intuitivement la vision bachelardienne d’une « Morale de l’Eau »2! Massou développe alors une critique radicale de notre civilisation, pour lui, exténuée  : dangers atomiques, pollutions, surpopulation, drogues… sans parler de la tronçonneuse qui détruit facilement les forêts !

Mais alors, quel salut attendre ?
Quelle est la solution ?
Les hommes ? Non. Dieu ? Il n’y croit guère. Alors ?… N’y aurait-il pas d’autres « Êtres » ?…
Toutes ces fabuleuses excavations/constructions sont créées pour accueillir ces Extraterrestres, pour réaliser un paradis, havre de salut…

Dans ce champ rocheux, Massou a su réaliser un lieu où le rêve devient réalité. Il doit aussi s’inventer un langage universel. C’est pourquoi le site est parsemé de gravures rupestres, signes insolites qui doivent être compris par ceux qui sauveront notre monde.

Paradoxalement, dans cet effort quasi désespéré de recréer une langue immémoriale, Jean-Marie Massou, l’homme qui creusait des trous, redevient mon semblable, mon frère en création.

Gazogène n°17

Site consacré à Jean-Marie Massou

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1 Plein Chant n°48
2
Cf. LEau et les rêves, le chap. à ce titre.


Augustin Pelufo

Art brut pas mort !

Augustin Pelufo

Augustin Pelufo
« Art brut, pas mort ! », Augustin Pelufo

L’article de presse ci-joint mérite un complément : rencontrer Pelufo c’est respirer à fond un grand bol d’air frais et crier d’autant plus fort : « Art brut, pas mort ! » Quelle vitalité, quelle joie de créer, quelle fantaisie ! Ah ! combien de petits maîtres de l’art dit singulier feraient pâle figure à côté de cet énergumène de 82 ans!
Ses matériaux de base : des cageots d’orange marque Spania et des  boîtes de thon (je suis désolé d’en avoir oublié la marque). Avec ça, il fait tout, monsieur Pelufo. Et d’ailleurs, il le dit « ICI FABRIQUE DE TOU », « CREATEUR – VOUS POUVEZ PHOTOGRAFIER TOU GRATIS »,  « ICI, AUX CENT MILLE TRUCS », « VIVE CARNAVAL »…
L’intérieur est un véritable capharnaüm où s’entassent les objets les plus hétéroclites autour d’une Arche de Noé…
Avec monsieur Pelufo c’est un bain de Jouvence, un retour aux sources…

Merci, et longue vie à vous, monsieur Pelufo.

Jean-François Maurice
Gazogène n°10


Les promenades de Gazogène

Les promenades de Gazogène (1)

L’ÉDEN NOIR de MARTIAL BESSE

Photo : Jean-François Maurice

Entre Villeréale (Lot-et-Garonne) et Monpazier (Dordogne), la route est parfaitement rectiligne ; la seule chose qui rompt un peu la monotonie ce sont de longues montées suivies de descentes aussi longues ; comme les automobiles vont assez vite, à chaque sommet on peut avoir l’impression de s’envoler comme au Luna Park.
Soudain, en pleine vitesse, un mirage, une vision surréaliste : votre rétine enregistre, un peu cachée derrière une haie vive, une femme nue sur une carriole ! Non, vous ne rêvez pas ; vous n’êtes pas victime de vos désirs inassouvis ; vous venez simplement de passer devant le jardin de « Frank » Besse, alias « Martial » Besse au lieu dit « La Castagnal ».

Il ne vous reste plus qu’à faire tant bien que mal demi-tour et d’aller vous garer sur le bas côté de la route dans un petit espace réservé à cet effet.
L’auteur de ce site n’a pas toujours été agriculteur ; loin s’en faut ; il a exercé divers métiers, de barman à coiffeur ! Ajoutons que pendant longtemps un panonceau signalait la présence d’un taxidermiste… Tout aurait commencé selon ses dires en 1952, après son divorce, par la construction le long de la route d’une maison chaussure miniature en ciment peint.
Mais bien vite Martial Besse va laisser libre court à son imaginaire si particulier pour créer un site unique. Étrange, merveilleux, envoûtant… il n’est pas de qualificatifs qui conviennent à ce lieu car aucun jardin populaire n’est aussi subversif que celui-là.
On y rencontre en effet des sculptures en ciment, grandeur
« nature » si je puis dire, représentant des sphinx bicéphales, des chiens qui semblent sortis de l’Enfer, des serpents, des femmes ailées enfonçant leurs ergots dans des corps d’hommes, un coq picorant un chien, un sauvage bariolé nous menaçant de sa lance, etc.
C’est tout un théâtre de violence, de cruauté, de mort qui s’étale devant le visiteur. Mais quoi, n’est-ce pas un jeu ? Entre le sadomasochisme des thèmes et la rusticité naïve de la réalisation nous ne savons quelle contenance prendre surtout lorsque nous nous trouvons confrontés brusquement à un personnage présentant un sexe énorme en érection !
Le site, en pleine campagne, devient alors une sorte de fête sauvage, un carnaval débridé, un pied de nez à toutes les conventions. C’est une incroyable transgression par rapport au milieu, une subversion des valeurs et des codes traditionnels. Nous sommes là plus proches des fantasmes de Pierre Bettancourt que de l’idéologie des nains de jardins !
Quoi qu’il en soit, personne ne peut échapper à l’inquiétante étrangeté, au sournois malaise qui émanent de ce lieu, véritable théâtre surréaliste rempli d’énigmes, de simulacres, d’illusions. L’humour y est corrosif et le rire jaune !
Le jardin de Martial Besse théâtralise une scène primitive mais c’est l’envers du Paradis, c’est un Eden noir qui au delà des apparences, est l’un des plus audacieux et des plus subversifs parmi toutes les autres créations populaires que je connais et qui peuvent s’y apparenter.

Jean-François Maurice


Cet article, paru dans Zon’Art, figure aussi dans Les Insoumis de l’art du Quercy.


Les campagnes de l’Art Brut, Félix Gresset

La chronique de Frédéric Allamel,
“Des USA & d’ailleurs” :

Les campagnes de l’Art Brut, Félix Gresset

Cette fois-ci, le regard de Frédéric Allamel se porte « ailleurs », sur ces « indigènes » que nous sommes et parmi eux il rend hommage, pour commencer, à Félix Gresset

« L’ART NE VIENS PAS COUCHER dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime c’est l’incognito ». On connaît tous cette formule admirable de Jean Dubuffet et pourtant… depuis… combien de caméristes ne se sont point empressés de border ce mauvais coucheur ! À tel point que, quittant son nid de branchages ou son hamac de fortune, il lui arrive à présent de s’oublier dans l’onctuosité des grands baldaquins.

Si le concept d’un musée d’art brut ne va pas sans un certain hiatus entre un procès artistique vivant, chargé de transformer le quotidien de son auteur, et la consignation d’objets dûment répertoriés aux cimaises de ces nécropoles de la culture que sont les musées, ces temples des Muses. C’est peut-être au hameau de Vaux et Chantegrue (Doubs) que celui-ci trouvera la résolution de ses contraires.

Enfin un musée brut d’art brut! Une promenade parmi les plaisirs champêtres. Un contenant à l’image de son contenu, sans prix à payer, ouvert à tous et aux vents, en toute ruralité. La redondance a parfois ses vertus.

Félix Gresset (né en 1917) était un enfant du pays. Agriculteur, il devint ouvrier forestier sur ses vieux jours, pour améliorer l’ordinaire d’une existence souvent en proie à la pénurie. Au contact de la forêt, il prêta une oreille attentive aux génies des bois et sa main à celui du bricolage. Son regard lourd de métamorphoses se mit à isoler dans le végétal une faune tantôt familière, tantôt fantastique. Dans les branches noueuses et les racines tordues, voire la roche trouée, il décelait un bestiaire fabuleux qu’un geste minimal rendait à tous accessible. Ici une entaille, là une touche de couleur … Il n’en fait pas davantage pour libérer la forme de sa gangue. Cette animalerie spontanée ne tarda pas à pulluler sur le devant de sa maison, située dans la partie haute de Chantegrue. Bavard invétéré, il happait tout visiteur intrigué par son arche défiant à la fois l’imagerie de la genèse et les lois de Darwin. Pour les autres, il demeurait un excentrique.

Mais voilà, le 28 janvier 1993, notre conteur des mondes sylvestres s’est tu, interrompant brusquement son monologue avec les hamadryades, point cardinal chez lui d’une pensée sauvage en acte. L’inventeur défunt, sa progéniture sculptée aurait pu mourir dans son sillage ou s’éparpiller comme un vol de corbeaux vers des collections brutistes. Il n’en fut rien.

Chantegrue disposait d’une fontaine-lavoir. Les lavandières depuis longtemps n’y faisaient plus leur linge et les bœufs ne s’y abreuvaient guère. Décision fut donc prise par la municipalité d’aménager le lieu en un forum zoologique et d’y transférer près de deux cents sculptures. Aujourd’hui, après veaux, vaches et cochons, ce sont des animaux au corps de bois qui viennent y boire, du temps qu’une bicorne espiègle se cache dans les boiseries et qu’un chat-peigne moustachu s’agrippe au mur de ses cinq pattes.

Au-delà de la mort, notre sculpteur animalier n’en continue pas moins de participer à la communauté villageoise de cette vallée du Doubs, en peuplant sa vie quotidienne autant que ses jours de fête. Ainsi pour Noël, souvent blanc dans la région, la fontaine-lavoir s’illumine sous la neige à la tombée du jour, un peu à la manière d’une crèche pour fabulistes éclairés.

En guise d’épilogue, je me dois de livrer au lecteur quelques informations pratiques. D’abord, pour s’y rendre pleinement, il faut réapprendre à voyager sans se hâter. À pied, à cheval, 2CV à la rigueur. Il faut savoir aussi se perdre, sinon comment se retrouver? Enfin attendre, une nuit de pleine poésie de préférence et, le moment venu, tous les mages vous le diront, il n’est point de meilleur guide que de suivre dans le ciel l’étoile du berger Félix Gresset.

Frédéric Allamel
Gazogène n°19


Banlieue de Banlieue : archives photographiques

Banlieue de Banlieue : archives photographiques inédites (1976 – 1977)

Nanou : Banlieues de banlieue
Nanou : Banlieues de banlieue

Cet hiver là, la photographe « Nanou » parcourt les arrondissements du Sud de Paris et la proche banlieue vers Bourg-La-Reine… à la recherche des architectures singulières et populaires.

15 ans après, qu’est devenu ce mausolée en plâtre à la gloire de Chopin ? Cette botte de sept lieues a-t-elle pris son envol sans attendre la pioche du démolisseur ?

Photos de Nanou
Buste et botte

Cerné par les H.L.M., ce pavillon recouvert de mosaïque a-t-il échappé aux pelleteuses des promoteurs grâce aux tours étranges qui l’entourent pour en protéger l’accès plus efficacement que le grillage de la clôture ?

Photos de Nanou

Comme cette autre villa dont le jardin se hérissait d’une dizaine de maisons à oiseaux et de petits moulins montés sur d’immenses perches qui semblaient y avoir la même fonction symbolique ?

Photos de Nanou

La photographe « Nanou » n’est plus à Paris pour nous le dire. Il ne nous reste que de vieilles pellicules très rarement développées et qui laissent apparaitre parfois des lieux et des visages qui auraient dû demeurer à jamais oubliés…

J’espère que ces clichés donneront à d’autres le désir de partir, sur ces chemins de banlieue comme autant de chemins de traverses, pour l’aventure singulière.

Anne Fablet dite « Nanou » : après s’être intéressée aux singuliers (outre l’art des banlieues on lui doit des reportages sur Froment ainsi qu’un mémoire sur Joseph Sima et « Le Grand Jeu »… ), vit aujourd’hui retirée dans les Charentes.

Jean-François Maurice
Gazogène n°01


Gazogène n°01, présentation

Gazogène, premier numéro

Gazogène : introduction et sommaire, par Jean-François Maurice, juillet 1991
Gazogène : introduction et sommaire, par Jean-François Maurice, juillet 1991

En guise de sommaire :

Féérie pour une autre joie

Dubuffet dans un texte cherchant à définir l’Art Brut en vient à s’exclamer – ou à peu près : « … et tout le monde voit bien de quoi je veux parler ! ». De même, Michel Trevoz m’écrivit une fois – ou peu s’en faut- qu’il fuyait les « Congrès » et autres « Colloques » où l’on discute pour savoir si le vert est vert et ainsi de suite. J’avoue avoir fait mienne cette position et l’avoir dit – bien mal sans doute – dans de précédentes brochures. Et me voici, ici, récidiver. Si j’ai consacré quelque temps aux personnes qui vont suivre – loin des Fouquiers-Tinville de l’art singulier et de la création populaire – c’est que je crois qu’à des titres divers, ils le méritent ! Tout simplement ! Y compris les anonymes, cela va de soi !

Et maintenant, place aux

incivilisés,
aux incivilisables,
à l’incivisme :

P.S. : Certains se sont étonnés – et s’étonnent encore, et auront l’occasion de continuer à le faire – de me voir poursuivre ces activités parallèlement à d’autres comme celles déployées pour la revue de La Création Franche. Simplement je crois que toujours l’existence – et que dire alors de la création ! – échappe aux catégories faites pour la cennen. Si vous ne comprenez pas, relisez le texte ci-dessus.

Jean-François Maurice, juillet 1991
Gazogène
n°01


La grotte de Berolle

Une petite architecture singulière dans la campagne vaudoise :

la grotte de Berolle

Cette construction a été réalisée en 1929 par Wielfried Besson (né en 1898), agriculteur à Berolle (Vaud, Suisse). L’histoire débute à son retour de Paris alors qu’il vient de visiter l’exposition coloniale. Très impressionné par les architectures qu’il y a découvert, Wielfried Besson se lance lui-même dans un projet, bien moins ambitieux mais tout aussi original, pour son jardin : une grotte abritant une sirène !

Il profite de ses allées et venues dans le Jura – où il apporte chaque dimanche des vivres à son père, en alpage d’été avec ses vaches – pour ramener les premières pierres de son futur édifice. Ces pierres du Jura, très typiques, ressemblent un peu à des éponges avec leurs multiples trous. La construction fait appel en outre à du bois, du béton et diverses pièces métalliques (de charrue ou autres) pour la consolidation.

La grotte comprend quelques figurines peintes, ainsi qu’un système de jet d’eau en son sommet et de fontaine sur le côté, qui sert de trop-plein. L’intérieur de la grotte abrite une sirène au long corps en ciment, munie de dents métalliques et de deux pieds courts à l’avant, taillés dans le bois. Malheureusement, le temps a détruit certaines pièces, principalement celles en bois qui ont toutes disparu, y compris un petit chalet perché sur la grotte.

La grotte est inaugurée dans les règles par Wilfried Besson, lors d’une fête paroissiale de village. Il profite de la curiosité suscitée dans le village par son édifice pour demander une rétribution symbolique aux visiteurs, rétribution qu’il reverse ensuite au curé.

Bien sûr, aujourd’hui ce petit édifice est bien abîmé, mais reste plein de fraîcheur. Véritable patrimoine familial avant d’être une curiosité, la grotte de Berolle a repris du service pour le mariage des petites-filles de son créateur : l’eau a de nouveau jailli de son sommet et de la fontaine. À quand la prochaine fois ? Reste encore un garçon à marier…

Flora BERNE
Gazogène n°28


Numéro 28

il en reste


numéro un

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